L'enfermement - témoignage
AnneL. n'est pas restée indifférente à l'article publié sur l'enfermement des femmes au foyer.
Malgré quelques hésitations, elle s'est lancée et nous livre un témoignage juste et très personnel.
Si vous aussi, vous souhaitez exprimer votre ressenti sur ce sujet, n'hésitez pas à prendre contact avec MPLR pour proposer votre texte. Pas la peine d'être experte en français, ce sont les émotions qui priment.
AnneL. nous te remercions pour ton témoignage.
Le message sur l'enfermement m'a vraiment secouée, j'y ai reconnu le "moi d'avant"... j'ai eu envie de témoigner à mon tour, afin de montrer à celles qui ne vont pas trop bien le "moi d'après".
J'ai une trentaine d'années, deux enfants de 2 et 4 ans.
J'ai arrêté de bosser dès le premier. J'ai allaité chacun de mes enfants pendant un an et n'ai (presque) jamais donné de petits pots tout faits. Je les emmène au parc tout les jours et à la bibliothèque une fois par semaine. Je suis très attentive et à leur écoute.
Ceci ressemble bien au portrait d'une mère parfaite non ?
Mais !
Vous voyez les grands décors avec un trou pour glisser la tête dedans et se faire prendre en photo : un jour j'ai senti le trou devenir un peu trop étroit et j'ai commencé à regarder derrière le décor. Je me suis rendue compte qu'il n'y avait plus grand chose... j'ai pris peur et je me suis retrouvée complètement perdue...
D'abord il se passe beaucoup de temps avant de réaliser qu'on va mal ; puis encore du temps pour réaliser pourquoi on va mal. Ben oui, on peut pas aller mal, bien que l'on ait les enfants-amours dont on rêvait, le petit mari chéri qui va avec... la photo est parfaite mais c'est pas ça...
Il y a l'entourage : la copine sans enfant se marre bien en disant : "-hé, c'est toi qui voulait tout ça hein !" ou "-bah alors? c'est plus tout rose ? " . Celle avec enfants, qui bosse, nous envie tellement le temps passé avec nos petits, le calme (!?) de nos journées, "-oh, je voudrais tellement passer plus de temps avec mes enfants, tu as tellement de chance, mais bon moi c'est pas possible tu comprends mon job/mon emprunt/mon mari, etc..." "-Ah ben si, c'est possible cocotte, tu fais comme moi tu lâches tout, tu divises ton budget par deux, tu oublies le shopping, le coiffeur,... (de toutes façons t'auras plus le temps !) et bien sûr tu n'achèteras jamais d'appart, proprio faut oublier !
J'ai compris qu'il fallait que quelque chose change quand je me suis surprise à être méchante avec mes enfants, je me vengeais sur eux de mes frustrations et de mon mal-être... pas beaucoup, juste suffisamment pour ne plus du tout coller à mon image de super maman. Il y a aussi le jour où j'ai répondu à quelqu'un qui m'annonçait, tout heureux, la naissance de jumeaux : "des jumeaux, oh l'horreur, la pauvre!" J'étais devenue aigrie et malheureuse.
C'est très difficile de s'avouer qu'on s'est planté, que la réalité ne correspond pas au rêve... et puis on réalise doucement que non, on ne s'est pas planté ! Parce qu'il n'y a pas de mère parfaite, comblée et épanouie comme on se l'imaginait. On est juste comme les autres ! Mais comme on pense être la seule, on continue, on s'accroche, on suit notre modèle idéal qui n'existe pas, on s'enferme et on s'efface.
Alors on entame la seconde phase avec un nouveau credo: je ne suis pas parfaite et d'ailleurs personne ne l'est ! On remonte à la surface.
Maintenant je considère que j'ai un travail: mère au foyer,
c'est donc un job, il me plaît, il est très difficile et demande d'être très investie,
j'ai des patrons très exigeants, je dois être dispo jour et nuit ;
j'ai un employeur, je touche indirectement un salaire et en plus il a un droit de regard sur mes dépenses...
Mais comme pour n'importe quel job, quand j'en ai marre je le dis ! Qui a déjà eu mauvaise conscience de critiquer son boulot "parce que bon quand même c'est eux qui te versent ton salaire et qu'il y en a plein qui voudrait le même...", hein ? Personne !
Alors moi aussi je me lâche de temps en temps et ça fait beaucoup de bien. C'est même libérateur !
Parfois je m'autorise même une prime : un congé maladie, une assistante, un dîner en amoureux, des vacances (ok juste un week end...)
Mais surtout je mets des limites : Attention au risque de mère au foyer qui pète un câble ! Ralentir, ne pas écraser, ne pas stationner là, Faites le vous aussi !
Je suis Mère au Foyer, et pas corvéable à merci... petit peuple de ma maison, vous me devez une immense reconnaissance (et admiration aussi !)
Pour moi c'est la troisième phase : je ne suis pas parfaite et personne ne me demandait de l'être (sauf moi!)
La preuve: personne ne se plaint, la terre tourne toujours, ils sont tous très fiers de moi... mince si j'avais su que "j'avais le droit" je serai sortie plus tôt...
Je retrouve mon "vrai moi", je ne vole plus des moments pour moi, je les prends...
Attention c'est toujours aussi dur, mais je ne culpabilise plus de ne pas aimer ce job à chaque minute, je laisse les autres prendre une partie de mon fardeau, je me réserve bien sûr tout les bons côtés et je partage avec ma famille des moments en or ... La vie est belle... (et les enfants grandissent !) et j'en profite chaque jour un peu plus !